histoire
Cette vie avait un goût de
chaleur, d'une
B A N A L I T É
qui nous sciaient si bien.
Malgré des absences
R É P É T É E S
je songeais que c'était
bien comme ça.
P A T I E N T E
j'attendais simplement
qu'il revienne vers
N O U S.
Maja Karlsson. Aaron Chester. Damon Saul Chester. Elle semblait si simple cette famille belle comme sur les photos que l'on accroche fièrement dans l'entrée. Une femme enseignant la littérature dans les lycées pour enfants en difficultés. Un homme au sommet de la police toujours occupé, souvent absent. Un jeune frère de six ans le cadet de la plus âgée. En soi, la vie semblait douce, d'un banal ennuyeux, presque monotone. Belles, si belles apparences qui s'envolaient si aisément qu'une porte se referme. Alors quelques disputes éclataient de temps à autre, laissant une grande sœur obligée de cajoler, consoler son petit frère. Et toujours la même fin : une porte qui s'ouvre, qui claque et un visage qui ne reviendra pas avant des jours, peut-être des semaines. Bref sourire presque amer en songeant à tout ceci, tu n'as pas encore oublié ces instants-là pas vrais, Hope ? Dans un souffle, une inspiration libératrice, tu revois les bribes de ton passé, cette jeune fille que tu étais. Jeune adolescente qui aimait encore tellement son père. Aucun reproche, aucune rancœur, seulement une impatience, celle de le revoir à chaque fois qu'il disparaissait. Pendant six ans, seule ta mère se trouvait à tes côtés, comblant le vide laissé par ton père comme elle le pouvait et puis ce bonheur était arrivé. Un jeune frère tant désiré. Deux, ce seul mot qui enjouait le cœur d'une petite fille qui rêvait de pouvoir jouer avec quelqu'un plus proche de son âge. Tu revois ces moments où vous vous chamailliez pour mieux vous réconcilier après dans une étreinte tendre. Jamais tu n'aurais songé que ces moments-là finiraient par s'émietter.
Je ne m'étais jamais demandé
combien de temps le
R Y T H M E
de vie de mon père allait encore
me convenir. Parce que je n'avais
J A M A I S
imaginé que les choses deviendraient
si compliquées avec les
A N N É E S
qui s'écoulent si dangereusement.
Souvenirs parfois difficiles. Oublie de ses clefs. Avoir la sensation d'avoir fermé la porte alors que ce n'est qu'une illusion... Tant de petits détails qui semblaient si banals comme si cela pouvait simplement arriver à tout le monde, à n'importe qui. Lentement ta mère oubliait certaines choses anodines et personne n'y prêtait attention, sauf elle. Se voilant simplement la face, inquiète, cette femme riait toujours aussi sereinement. Elle hurlait toujours sur son mari pour des broutilles la plupart du temps. Rien n'avait changé alors tu n'avais pas fait attention. Attention à cette anxiété grandissante qui la gagnait. Jeune adolescente en pleine puberté, ce n'est que lorsque tout était devenu bien trop alarmant que ta mère avait daigné t'expliquer.
« Ma chérie, écoute-moi attentivement. Dans ma famille, la maladie d’Alzheimer a toujours fait beaucoup de ravages et... j'ai été diagnostiquée il n'y a pas longtemps. » ce n'était rien, pas vrai ? La maladie n'allait pas la tuer tout de suite, n'allait pas la rendre fébrile demain. C'est avec conviction que tu voulais croire à cela sans savoir ce que le stade 4 et 5 signifiait. Sans savoir qu'en réalité cette maladie n'a que 7 stades.
Sautes d'humeurs, altération de la capacité à résoudre des calculs mentaux, difficultés accrues à effectuer des tâches complexes, oublier son propre passé, difficultés à retrouver un mot, oublier un visage récent ou un nom... petit à petit ce qui semblait être ordinaire, devenait inquiétant, troublant alors que de tes orbes clairs, tu remarquais les signes à présent. Si courant et pourtant si évident. Chez les autres ce n'était qu'un simple manque d'attention, mais chez ta mère c'était tout simplement grave. Troublée, perdue, inquiète lorsque ton regard cherchait de l'aide, il rencontrait toujours ce jeune frère. Des cheveux blonds cendrés à l'image de votre père, des yeux foncés comme ceux de ta mère, une innocence au fond des yeux que tu commençais déjà à perdre. Tu n'as pas eu d'autres choix que de devenir plus forte au milieu de cette terreur ambiante.
Je me demandais si j'avais
seulement la force, le
C O U R A G E
de pouvoir soutenir Damon.
Si je pouvais seulement y
A R R I V E R
à moi toute seule alors que
notre père ne revenait
T O U J O U R S
quand ça lui convenait.
Alors je voyais ma mère se
B R I S E R
sans savoir quoi faire.
Le soleil se couchait tôt dans le souvenir que tu repasses à présent. L'hiver arrivait à grands pas, tranquillement et cela faisait déjà six mois que ce quotidien monotone, presque ordinaire était parti en lambeau. Une fatigue perlait la peau fine sous les orbes clairs, démontrant à la Terre entière que cette vie insouciante n'était plus. Envolée, lentement disséminée dans les songes du passé. Les heures s'écoulaient dangereusement, les tâches ne faisaient que croître pour pallier l'oubli de cette femme. Devenu mère avant l'âge, ce soir-là en rentrant de l'école, rien ne semblait sortir de l'ordinaire. Les post-it recouvraient encore chaque meuble, chaque porte, chaque objet de la maison en prévention. Un silence régnait comme toujours parce que ta mère n'avait pas encore arrêté de travailler, loin d'être obligée de le faire pour le moment. Les médecins ne semblaient pas aussi alarmés que ton instinct. Celui-là même qui criait atrocement. Tic-tac, tic-tac. Le bruit assourdissant des secondes qui s'éparpillaient en un instant. Les yeux rivés sur l'horloge qui bientôt avait sonné, bruyante, dérangeante et la porte qui ne s'ouvrait pas. Respiration en suspend. Souffle lourd, irrégulier. Précipitation jusqu'au téléphone. Un appel, deux appels, trois appels et trois messageries plus tard, enfin il daignait décrocher.
« Papa ?? Je crois qu'il est arrivé quelque chose à maman, elle n'est toujours pas rentrée. Ça fait bientôt trois heures maintenant, ce n'est pas normal, mais je ne peux pas laisser Damon tout seu... » soupir murmuré.
« HOPE ! Je n'ai pas le temps de m'occuper de ça maintenant, ne me dérange pas inutilement ! » interruption rapide et précise. En une seule seconde le silence s'était installé. Pourtant, une petite voix résonnait dans ton dos, une voix inquiète elle aussi et déboussolée, mais... Tu n'entendais que tes reproches naissants bourdonner dans tes oreilles à présent. Un père jamais là. Une jeune fille patiente et compréhensive. Une image douce et belle qui venait de se briser si violemment.
« Damon... je te laisse la maison, ne fait rien de stupide. Je vais chercher maman ! » un ton fade, amer, blessé, outré. Un murmure qui s'égarait avant d'entendre cette porte claquer, encore.
La nuit était tombée si
lourdement comme si on
M ' É T O U F F A I T
avec force. Oppressée
dans les ruelles sombres
A N G O I S S A N T E S
de cette ville où j'avais
grandi pourtant pendant si
L O N G T E M P S
à présent. Chicago si grande
ville de ce si grand
C O N T I N E N T.
Cours, cours encore et toujours. Dans un esprit envahi de pensées obscures, tu avais parcouru durant une longue heure tous les chemins que ta mère aurait pu emprunter pour rentrer. Pendant un certain laps de temps, tu avais prié pour qu'elle soit simplement en compagnie d'une amie, dans un bar quelconque, mais cette peur t'empêchait simplement d'y croire pleinement. Maison-Lycée, Maison-Supermarché, Maison-Coiffeur, Maison-Esthéticienne... chaque chemin possible et imaginable alors que la tonalité résonnait à tes oreilles, aucune voix n'en sortant cependant. Le néant au milieu des bâtiments si hauts vers le ciel, si... oppressants finalement. Une noirceur ambiante et ce mauvais pressentiment qui persistait si ardemment, abîmant le cœur fragile d'une jeune adolescente. Cette peur vrillait l'estomac, les songes dans ce souffle lourd.
« Maman répond... j't'en prie... » bip bip bip... et le silence.
« Maman ?? Allô ?? Qu'est-ce que tu fais ?? Où es-tu ?? Maman ?? » soupir perdu, égaré.
« Hope... Quelle est notre adresse déjà ?... Je ne me souviens plus. » silence. C'était dix minutes plus tard que ton regard avait croisé le sien, te précipitant pour la prendre dans tes bras.
Je savais pertinemment à
partir de ce moment
P R É C I S É M E N T
que les choses allaient devenir
encore bien plus
C O M P L I Q U É E S
quelles ne l'étaient déjà.
Pourtant j'étais prête à me
B A T T R E
pour faire tout à sa place,
pour lui permettre de se
R E P O S E R.
Ton père en avait décidé autrement cependant, enfermant cette femme qu'il avait pourtant épousé par amour, dans une chambre froide, immaculée. Dans l'esprit encore immature d'un enfant face à cette situation, la seule réponse plausible était l'abandon. La facilité en se débarrassant des problèmes rapidement. Lentement, petit à petit cette colère avait grandi, émergée au fond de ta trachée. Colère amère et retenue en remarquant qu'il ne venait quasiment jamais. Tu le savais parce que vous... vous vous veniez tous les jours voir celle qui vous avaient mis au monde, élevés. Toujours un sourire aux lèvres malgré la difficulté. Celle de voir dépérir un être chère. Celle de voir un jeune frère bien trop jeune pour endurer tout cela. Celle d'être seule pour s'occuper pleinement de la maison. Aucun mot, aucune plainte, seulement une bonne volonté, une force que tu n'avais pas eu d'autre choix que d'acquérir en un claquement de doigt. Tu détestais cet endroit pourtant. Blanc. Aseptisé. Odeurs âcres et insistantes. C'est à reculons parfois que tu t'y rendais, mais... Damon ne pouvait y aller sans toi et tu n'étais pas en droit de le priver de ces instants. Les derniers souvenirs qu'il aurait de sa mère. Hope, tu avais peur. Tu voulais fuir, fuir l'odeur de la mort par peur. Un jour.
« Un jour... Tu vas m'oublier aussi. » Visage, nom, souvenirs... Tout finirait par disparaître en une seconde.
« Je t'en prie maman... Ne m'oublie pas. » pensées persistantes, pensées apeurées. La vie devenait un combat quotidien, une course contre la montre alors que tu te levais chaque matin, faisait le petit-déjeuner pour ton frère, l'emmenait à l'école, allait le chercher à midi pour manger avec votre mère, le ramenait à l'école, aller le chercher à la fin des cours, revenir à l'hôpital, rentrer, l'aider à faire ses devoirs, lui faire à manger, le coucher, sortir courir. Courir encore, la musique dans les oreilles, la solitude comme seul allié. Échappatoire.
Solitude. Le seul refuge
qu'il me restait encore pour
S O U F F L E R
comme pour reprendre vie.
Vie chaotique, quotidien trop
L O U R D
à porter. J'en étais venue
à perdre tellement de poids.
A N O R E X I Q U E.
Dix-huit ans. L'année des premières expériences d'amour peut-être durable. L'année où les souvenirs deviennent des trésors. L'année où les amis se font pour la vie. L'année où... le corps avait finalement lâché, épuisé. Trou noir, absence et chambre blanche. C'est un passant qui avait eu la courtoisie de te conduire à l'hôpital lorsque tes jambes avaient lâché devant son magasin. Une course que tu n'auras finalement jamais terminée. Battement de paupières, la réalité était revenu te frapper lorsque la porte s'était entrouverte, ton jeune frère apparaissant avec derrière un fauteuil roulant qui disposait de ta mère. Par réflexe, ton corps s'était redressé pour adresser un sourire à cette femme. Si belle, encore si jeune pourtant, mais si frêle aujourd'hui.
« Maman et moi, nous venons te rendre visite. Regarde qui est là, maman ! » le silence, pesant. Le doute et la voix fébrile qui tranchait l'air.
« Qui est cette jeune fille, Damon ? Tu as déjà une petite amie ? Elle a l'air... plus vieille que toi pourtant ! » battement de cœur raté.
« … Maman c'est... c'est Hope, ma grande sœur... ta fille... » seconde suspendue, douloureuse.
« Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je n'ai jamais eu d'autre enfant que toi voyons. Que tu es drôle ! » tes lèvres s'ouvraient dans une lenteur extrême, la surprise, l'agonie au fond des yeux et un simple murmure s'échappaient :
« Maman... » faible, qui se déchirait brutalement. Cauchemar vivant. Soudainement, la réalité trop pesante à supporter. Le stade 6 de la maladie. Alors tu te souviens brièvement avoir vu Damon sortir votre mère pour la ramener dans sa chambre et choquée, tu n'avais pas bronché. Hope, tu sais bien, oui tu sais bien qu'il est revenu ensuite, restant dans l'entrebâillement de la porte sans oser entrer, sans oser te regarder. Parce que Damon avait peur. Peur de voir tes traits déformés par la douleur.
On dit que l'on fini tous
par oublier. Les gens
O U B L I E N T
tournent les pages de la vie.
On raconte que seule la
F A M I L L E
ne vous oublient jamais vraiment,
mais à ce moment j'ai
R É A L I S É
que ma mère allait mourir sans
jamais se rappeler, se
S O U V E N I R
que j'ai un jour existé.
Damon fut fébrile, dans son adolescence naissante, c'était quelques mois plus tard que votre mère fini par l'oublier. Votre père fut la première victime de la maladie, mais ce n'était pas un problème alors qu'il ne venait plus. Tu fus la deuxième bien entendue et Damon fut le suivant. Combien de temps alors avait-il pleuré dans tes bras ? Combien de temps est-ce que tu t'en étais voulu de ne pas avoir vu les signes arrivés et de ne pas l'avoir empêché d'y aller ? Peut-être que ton jeune frère ne t'aurait pas écouté alors... non, il ne l'aurait pas fait, mais peut-être que la culpabilité aurait été moins sévère. Bras réconfortants, force, mots rassurants, c'est tout ce que tu avais pu offrir à ton cadet en cette nuit froide.
Deux mois plus tard, le cœur avait cessé de battre. Guidée par tes pas fébriles, tanguant à moitié, seule, tu étais allée à l'hôpital une dernière fois. Ton père ne pouvait pas s'y rendre, comme toujours il se défilait, il fuyait, te laissant supporter le poids d'un monde. Déglutissant douloureusement, tes orbes clairs s'étaient posés sur elle. Aucune larme versée, du haut de ton jeune âge, tu n'arrivais pas à y croire, à l'accepter. Pourtant, la froideur qui vagabondait sous tes doigts alors que tu touchais son bras, elle était tangible, réelle. Encore aujourd'hui, tu t'en rappelles comme si c'était hier, Hope.
Trois jours plus tard,
notre mère fut
E N T E R R É E
et c'était la première fois
depuis des mois que je voyais mon
P È R E
une nouvelle fois. Je me souviens
qu'il n'est resté que quelques
M I N U T E S
avant de s'en aller. J'étais
si choquée que j'aurai aimée le
F R A P P E R.
Monde magique, féerique. Depuis longtemps l'adolescente avait mis de côté ses rêves d'enfant, mais c'est étrange comme ils étaient revenus si rapidement. Les mots de ta mère résonnaient encore clairement.
« Si tu veux devenir magicienne, je te serais toujours à tes côtés pour t'épauler ! Fais ce que tu aimes, Hope. » et les larmes. Si amères, si douloureuses. Souffrance. Dans ta chambre habillée de tes plus grands rêves, le silence et les pleurs qui n'en finissaient plus. Les cris aussi. Assourdissants, cassants. Enfance brisée. Quelques conneries s'en étaient suivi, par vengeance, par nécessité comme pour retrouver cette liberté bafouée par un père absent, qui ne prenait pas ses responsabilités.
« Il fait le nécessaire pour votre mère. » qu'ils disaient. Juste une chambre d'hôpital pour une seule personne et des traitements. Ça n'avait rien de suffisant, n'est-ce pas ? Vexée, blessée, amère, c'est occasionnellement que la police t'arrêtait pour des délits quelconques et toujours ce visage fermé, cette voix sourde. Toujours les mêmes mots de cet homme.
« Pendant combien de temps, encore, est-ce que tu vas m'humilier ? Si tu cherches à me blesser, abandonne. » phrases pré-faites. Hope, tu encaissais, accusais le coup de son ignorance à l'égard de sa famille, des siens, des personnes qui auraient dû être sa priorité, mais qu'il abandonnait, délaissait si simplement. Suffocation.
Il a fini par craquer
cependant et il m'a
G I F L É E
en plein commissariat.
J'étais tellement usée,
B L E S S É E
par son ignorance que
je n'ai même pas
S O U R C I L L É E
et j'ai moi-même fini
par balancer tout les
M O T S
qu étouffaient depuis
si longtemps au fond de ma
T R A C H É E.
« T'es vraiment le pire ! Ton travail, ton ambition... Tu n'as que ces mots-là à la bouche !! Tu penses que nous nourrir, nous offrir un toit c'est de l'amour ?! Même quand maman avait le plus besoin de toi, tu étais toujours absent, occupé !! À son enterrement tu n'es resté qu'une minute tout au plus ! Jusqu'à quel point t'es égoïste, papa ?! Elle avait besoin de toi, elle était toute seule dans cette chambre d'hôpital à mourir jour après jour !! Est-ce que tu sais seulement à quel point elle était triste ?... Mais tu étais content, n'est-ce pas ? Parce que maman était un fardeau, un obstacle à ta carrière, à ton ambition et nous aussi, pas vrai ?! Parce qu'après tout, nous porter de l'attention, nous prouver que tu nous aimes, c'est chiant et ce n'est pas nécessaire !! TU AS ABANDONNÉ LES TIENS, TA FAMILLE, TA FEMME ET TES ENFANTS !! » épuisement. Voix tremblante.
« Tu penses qu'à toi, toi et toi seul... T'es pathétique ! J'aurai préféré que tu sois à sa place... J'aurai préféré que maman soit toujours là. » coupure. Fracassement. Un mur qui se brise. Une histoire qui s'achève. Celle d'un père et de sa fille.
Tu n'as plus jamais vraiment vu ton père.
Années écoulées doucement loin de lui, seulement dans les yeux de ton frère. Seuls à la maison comme souvent, tu as fini par atteindre une majorité tant désirée. Alors le monde s'est ouvert à toi, embarquant ton cadet. Il n'a même pas cherché à t'arrêter. Triste vie. Alors tous deux, mains dans la main, vous êtes allé parcourir les cirques, les cabarets d'une ville voisine en espérant que tu deviennes un jour connu. Et par la force du destin, les portes se sont ouvertes à toi. L'argent est arrivé plus abondamment, tu as offert à Damon la chance de rejoindre l'école qu'il souhaitait. Jusqu'à sa propre majorité, tu l'as élevé comme ton propre fils. Puis il s'est envolé pour prendre sa liberté, lui qui rêvait de voyager. Vingt-sept ans et une liberté nouvelle, juste la tienne. Le succès, les déplacements, mais ce rêve soudainement d'être aimée, d'être posée, de fonder une famille. Et tu croyais pouvoir le réaliser alors qu'ici, à New Heaven, tu rencontrais cet amour fulgurant.
Je pensais avoir la chance
de fonder enfin cette
F A M I L L E
que je rêvais d'avoir. De
faire en sorte que mes
E N F A N T S
soient chéris, soient heureux
dans la vie et surtout
É P A N O U I S
mais il faut croire que le
destin aime jouer avec
M O I.
« Vous êtes stérile, je suis navré. » la vie avait un goût nouveau, un goût de joie, mais le verdict tombait si lourdement. De tes yeux écarquillés, la nouvelle te laissait d'abord de glace, retournant dans cet appartement. Et enfouie dans la pénombre, les pleurs, encore. Les cris aussi. Le goût d'une injustice. Les pilules en tous genre existaient à présent, mais rien. Rien qui pouvait réellement t'aider. Comme rien n'avait pu sauver ta mère. Désillusion, trouble, séparation, déchirure. La solitude comme seule réponse. Ton jeune frère devenu homme à présent avait pu entendre cette voix brisée au bout du téléphone, ces pleurs, le son de l'injustice de ce monde. Cette fatigue de subir sans rien pouvoir espérer. C'est un peu vide, las que tu as laissé le temps s'enfuir jusqu'à finir à trente ans par te demander. Méfiance, prudence, peur aussi. Tu as commencé à oublier aussi. Prise de panique, de peur.
« Vous souffrez d'une forme d'Alzheimer précoce. » comme ta mère avant toi. Les obstacles insurmontables, ils s'entassent dans un coin jusqu'à ronger, dévorer, briser encore plus profondément. La scène, seul lieu de repère, seul astre de paix. Accroche-toi. Et tu t'y accrocher si fermement pour ne pas sombrer, pour ne pas couler. Lumière, paillette, beauté du geste éphémère, ambiance suspendue sur un fil. Inspire, tu es en vie.
Le monde partait en vrille
au moment où j'avais
E N F I N
l'impression de pouvoir vivre
pour moi, pour mon
F R È R E
aussi parce que je savais
à quel point il était
I N Q U I E T
depuis toutes ces années.
Et pourtant dans ce désespoir, dans une ruelle noire, fatiguée de faire semblant, tu as craqué après une soirée trop arrosée. Une femme dépassée, perdue, agonisante. Les pleurs comme seule défense, une force comme seule arme, mais ce n'était pas assez, pas suffisant pour dépasser tout ce qui t’encombrait. Tu voulais relever la tête, inspirer et sourire une nouvelle fois, comme toujours. Mais à cet homme qui est arrivé de nul part, tu n'as pu offrir que les larmes. Et tu as fait un choix. Un choix qui a ouvert une porte scellée. Une porte qui a conduit à cette réalité aujourd'hui, à ce ventre qui grossit.
Tu es enceinte.