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Assis en face de moi se trouve une adolescente, une longue tignasse blonde et frisée. Elle porte un grand pull pour cacher son ventre rond. Elle ne doit pas avoir plus de seize ans, dix-sept à tout casser. Ses parents assis à côté d'elle, l'entourant comme une barrière, une protection contre ce qui se prépare dans l'avenir. Elle se ronge l'ongle de son pouce, les yeux dans le vide et moi je l'observe stupidement. Des questions par dizaines fusent dans mon esprit, des plus absurdes aux plus impertinentes. J'essaye de me vider l'esprit, de penser à autre chose, que ce qu'il m'attend derrière la porte de la salle d'accueil. Je n'ai pas envie de regarder les affiches épingler aux murs, ou bien aux prospectus sur la table basse, je serais capable de faire une crise de conscience et je n'en ai pas besoin. Je suis sûre de mon choix, et je n'ai pas envie de faire marche arrière. Après tout, ce n'est pas la première fois que je viens ici. C'est la seconde fois depuis le début de l'année, je me pose des questions. Sans réponses.
J'évite également de repenser à ce que je faisais à l'âge de la fille en face de moi. Raviver les souvenirs pénibles en public et fondre en larmes ne me rassure guère. Alors je me demande pourquoi les instituts médicaux ont cette odeur si dérangeante qui colle à la peau. Ou encore pourquoi il y a cette règle tacite de laisser un siège entre deux groupes de patients, est-ce qu'il s'agit d'une douve pour se protéger des malheurs des autres ? Après tout, être enceinte ne s'attrape pas comme un virus. C'est stupide. Et pourtant je l'applique, car j'ai besoin de cette douve imaginaire pour me protéger de ce que je ne comprends pas. Je tente de passer le temps, et je repends le formulaire pour mon IVG. Je relis les informations que j'ai écrites, ma nouvelle identité ne m'est plus étrangère, mais j'aurais toujours cru que si je devais avoir un enfant, ce serait avec lui. Mais ce n'est pas le cas. Cela ne sera jamais le cas.
Un membre du personnel rentre dans la salle d'attente.
« Madame Heidkrüger, vous pouvez me suive. »
Il a écorché mon nom de famille, mais il n'y a pas de doute, c'est à mon tour. Je me lève en prenant mes affaires et le formulaire et je le suis jusqu'à la salle d'examen. A peine ai-je le temps de tourner la tête, il n'est plus là. Il ne reste plus que la doctoresse et moi et ce que j'appelle ma honte. Je balbutie un bonjour, le sien est franc sans accroche. D'un geste de la main, elle me fait signe de m'asseoir pendant qu'elle se lave les mains. Le tissu en papier de la table d’auscultation vient d'être fraîchement tiré, on le sens, il est encore rigide et à du mal a se poser sur le cuir. Comme au mois de janvier, elle me pose les mêmes questions et effectue les même examens. Là où avant je n'avais aucune connaissance, je m'exécute comme un robot. Dans la blouse d'opération, et la sonde échographique sur mon bas ventre elle me posa une question.
« Avez-vous déjà entendu parler de l’hyper fertilité ? Ce n'est pas reconnu comme une maladie, mais on devrait peut-être effectuer des examens. »
Je la regarde avec des yeux ronds, qui en dise long sur ma réponse. Non. Entendre que des femmes ont des problèmes pour procréer oui, comme tout le monde, mais que d'autres sont tellement fertiles, non. Surtout pas moi. Après l'accident on m'avait bien dit que j'aurais des difficultés à en avoir. Les mots exactes du médecin était n'y comptait pas.
« Impossible que ça soit cela. Je prends la pilule et je n'ai faits aucun oubli, et puis j'ai eu un accident il y a quelques années et on m'avait dit que je pourrais difficilement avoir des enfants, voire pas du tout.
— Vous ne m'en aviez pas parler la dernière fois... Elle me jetait un regard réprobateur. Il faut croire qu'il s'est trompé.
— Comment ça ?
— Tout est parfaitement en place. Et il n'y a rien qui n'empêche une grossesse. »
Ma tête retombe sur la table d’auscultation, les yeux se noyant sur les néons, essayant de démêler le vrai du faux.
Ma blessure était réelle, j'en garderai à vie la cicatrice, et les souvenirs. Je me rappelle même avoir pleuré lorsque l'on m'avait appris que je ne pourrais avoir d'enfants. Après tout, il y a une différence entre ne pas en vouloir et ne pas être capable. C'était comme si on vous épingler dans le dos cette information et qu'à chaque fois que vous pouvez voir ce que vous ne pouvez avoir on vous le rappeler à coup de marteaux. Pourtant mes deux grossesses involontaires et incontrôlées étaient tout aussi réelles. A croire que j'ai eu le droit à un miracle dont je ne désirais pas vraiment. Un cadeau empoissonné de cette pilule rouge censé être une farce. Rien de plus, rien de moins. Et qui est réel.

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